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Annuler Verdi

STEFANO BIANCHETTI/CORBIS VIA GETTY IMAGES

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La musique classique doit-elle être « décolonisée » ?

Une nouvelle expression que beaucoup en sont venus à connaître ces dernières années est « cancel culture » [la culture de l’annulation]. Des personnages importants de l’histoire—Théodore Roosevelt, la reine Victoria et même Gandhi—ont vu leurs statues détruites ou appelées à être détruites. Mais il existe un domaine du patrimoine historique occidental que l’on pourrait croire plus sûr. La tradition artistique de la civilisation occidentale est appréciée dans le monde entier. La musique dite « classique » enrichit depuis des centaines d’années la vie de personnes issues de cultures du monde entier.

Mais même la musique classique n’est pas à l’abri de l’assaut de la « culture de l’annulation ». Selon un article du Telegraph du 7 mai, l’université de Cambridge propose un cours sur l’histoire de la musique classique—mais avec une petite touche. Intitulé Décoloniser l’oreille, le cours enseigne comment écouter la musique d’une manière « postcoloniale ». Le cours part du principe que la musique classique pourrait être « complice […] des projets d’empire et des systèmes de pouvoir néolibéraux ». En d’autres termes, la musique classique est raciste et élitiste. Le matériel du cours comprend l’enseignement de la manière dont « des genres comme l’opéra semblent particulièrement susceptibles d’être représentés de manière raciste ». Cambridge offre ce cours depuis au moins 2019.

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Le matériel du cours suggère l’opéra Aïda de Giuseppe Verdi comme « point de départ ». Aïda, dont la première eut lieu en 1871, est un opéra romantique qui se déroule dans l’Égypte ancienne.

Dans le sillage des récentes manifestations de Black Lives Matter [BLM ; Les vies noires comptent], le monde britannique de la musique classique a cherché des moyens de devenir plus « inclusif ». Le Royal College of Music [Académie royale de musique] a récemment annoncé qu’il allait « diversifier » son curriculum classique. En 2021, un professeur de l’université d’Oxford a même suggéré que la notation musicale représente une « hégémonie blanche ». La notation musicale moderne a été créée bien avant la traite transatlantique des esclaves.

L’un des principaux objectifs du mouvement BLM est d’apporter la « justice » aux personnes d’origine africaine. Leurs principales cibles sont la traite transatlantique des esclaves et les empires coloniaux européens. Une partie de l’idée de « justice » de BLM consiste à attaquer l’héritage historique et la mémoire de l’Occident. Au début, les principales cibles de la colère des militants du BLM étaient des personnages comme le général confédéré Robert E. Lee. Leur colère s’est ensuite étendue aux présidents américains associés à l’esclavage. Mais comme le montre l’article du Telegraph, le champ d’action s’est élargi. Désormais, tout ce qui a trait à l’héritage culturel occidental est considéré comme une cible.

Mais considérez ceci : bon nombre des compositeurs les plus célèbres n’avaient aucun lien avec la traite transatlantique des esclaves ou la colonisation de l’Afrique. Leurs pays d’origine non plus. L’Autriche—le pays de Franz Joseph Haydn, Wolfgang Amadeus Mozart, Franz Schubert et d’autres—n’eut jamais de colonie en Afrique. La Russie, pays de Sergei Prokofiev et Pyotr Ilyich Tchaikovsky, n’eut jamais de colonie en Afrique (à part un épisode bizarre en 1889). George Gershwin, Felix Mendelssohn et d’autres étaient juifs—une race confrontée à la persécution depuis bien plus longtemps que les Africains sous la colonisation.

« La production artistique qui survit à plusieurs décennies, et même à plusieurs siècles, porte un jugement sur ceux d’aujourd’hui », a commenté Ryan Malone, compositeur et directeur de programme de la Fondation culturelle internationale Armstrong. « Comme je l’enseigne à mes étudiants, nous ne jugeons pas cette musique, c’est elle qui nous juge. Elle existe depuis bien plus longtemps que nous, et c’est faire preuve d’une arrogance inconsidérée que de penser que nous pouvons ignorer son impact sur la civilisation humaine avec notre période extrêmement éphémère sur la chronologie humaine. »

L’opéra que Décoloniser l’oreille utilise comme « point de départ » Aïda, constitue une excellente étude de cas. La première d’Aïda n’a pas eu lieu à Milan, Vienne ou Paris, mais au Caire. L’opéra Khédival du Caire avait été commandé par le souverain égyptien, Ismaïl Pacha. Verdi était apparemment furieux qu’une plus grande partie du grand public—le public égyptien—n’ait pas été invitée. L’intrigue elle-même implique un guerrier égyptien qui se bat pour libérer des esclaves éthiopiens. À l’époque de la première, un critique a écrit : « L’amour que se portent Aïda [une esclave éthiopienne] et Radamès [le guerrier égyptien] devient un exemple éclatant de véritable dévotion qui transcende en fin de compte les vastes différences culturelles entre leurs nations en guerre. » 

Cela ressemble-t-il à une production raciste ?

Verdi—comme les militants d’aujourd’hui—avait de fortes convictions politiques. Un autre de ses opéras célèbres, Nabucco (dont l’action se déroule dans l’Irak antique), symbolisait les luttes politiques de l’Italie. Selon M. Malone, « le nom de Verdi est devenu un acronyme de la lutte de son peuple pour se libérer de l’oppression et devenir une nation ». Ce sont des thèmes universels que tout le monde pourrait apprécier.

Il en va de même pour Mozart. Aujourd’hui, beaucoup pensent que la musique de Mozart est un archétype de la tradition et de l’aristocratie. Pourtant, pour son époque, il était considéré comme révolutionnaire. Son célèbre opéra Les Noces de Figaro « était en fait un acte de rébellion contre la culture ‘raffinée’ dans laquelle il avait grandi », comme l’a déclaré l’assistant (et fils) de M. Malone, Seth Malone. « Ainsi, lorsque les historiens de la musique désignent Mozart comme un symbole de l’aristocratie, c’est comme si un astronome affirmait que la Terre était plate. Cela ne pourrait pas être plus fondamentalement éloigné de la vérité. »

Tout ce que l’homme touche—y compris les arts—reflète généralement des préjugés et des partis pris d’une manière ou d’une autre. Mais les arts sont destinés à être appréciés par toute personne, quelle que soit sa race, sa religion ou son origine économique. La musique est l’un des éléments unificateurs de l’humanité.

Selon Ryan Malone :

Le son est le son. Les vibrations des molécules—qui constituent ce que nos oreilles nues entendent comme hauteur et timbre—sont scientifiquement mesurables, et elles dépassent toute culture. Par exemple, la « triade majeure » [l’un des accords les plus courants en musique] se trouve dans les harmoniques largement inaudibles de chaque hauteur. Ce n’est pas culturel. Bien sûr, chaque culture exploite différemment les éléments musicaux, et le partage de ces manifestations de la « physique de la musique » est l’une des joies de l’expérience humaine—et non une « appropriation » à laquelle il faut se soustraire. […]

Le grand art devrait « coloniser » et « impérialiser » nos vies dans le sens qu’il est fondamentalement humain. La musique, en particulier, est un langage universel à bien des égards—ce qui signifie qu’elle s’élève au-dessus de nos cultures et de nos origines ethniques et enrichit nos vies. Tout comme un pilier soutient une structure—quelles que soient les connexions artistiques, politiques et culturelles associées à ce pilier.

La musique classique doit unir, et non diviser. Comme l’a dit M. Malone, la musique des beaux-arts est quelque chose qui nous rend « fondamentalement humains ». C’est quelque chose qui traverse les cultures. Elle nous relie à la fois à nos ancêtres et à nos descendants. De nombreuses études montrent les effets positifs de la musique classique sur la santé mentale.

La musique classique est quelque chose qui mérite d’être préservée. C’est quelque chose qui mérite d’être protégé. Et c’est quelque chose qui mérite d’être apprécié—qui que vous soyez et d’où que vous veniez.

Comment commence-t-on à apprendre et à apprécier ? Pour ceux qui n’ont pas grandi avec la musique classique, cela peut prendre du temps pour y prendre goût. M. Malone a publié un article sur notre site partenaire, pcg.church, intitulé « Face the Music  » [Faites face à la musique ; disponible uniquement en anglais]. Il s’agit d’une bonne introduction qui explique pourquoi il est important d’apprécier la musique.

La Trompette parraine un podcast animé par Ryan Malone intitulé Music for Life [Musique pour la vie]. L’émission présente des programmes musicaux organisés par la Fondation culturelle internationale Armstrong. Ces programmes comprennent des interprètes de renom tels que Joshua Bell, le Ballet national russe, les Petits Chanteurs de Vienne et d’autres encore. Music for Life est un bon point de départ pour se forger sa propre appréciation de la musique classique.

LA TROMPETTE EN BREF

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