D'où venait l'ivoire biblique ?

Une étude intensive analysant plus de 1 500 artefacts provenant de 46 sites différents en Israël a abouti à une conclusion fascinante : pendant un millénaire, l'ivoire a été exclusivement importé d'Afrique subsaharienne entre 1600-600 AEC Cette période s'étend de l'époque où Israël était habité par des cités-États cananéennes jusqu'à l'effondrement de l'âge du bronze tardif, du royaume uni de David et Salomon jusqu'à la fin du huitième siècle AEC.

L'auteur principal de l'étude, le Dr Harel Shochat, de l'école d'archéologie et de cultures maritimes de l'université de Haïfa, a déclaré au  Times of Israel  : « Le réseau [d'ivoire] n'a pas changé malgré toutes sortes de fluctuations géopolitiques et de changements dans la structure sociale. Nous montrons que nous avons une sorte de monopole qui dure depuis un millénaire. […] Ce millénaire a été très mouvementé, mais une chose est restée constante, à savoir l'échange d'ivoire — toujours [importé] d'Afrique. » Son article a été publié dans le numéro de novembre 2025 du Journal of Archaeological Science.

Shochat et son équipe ont utilisé un processus en trois étapes pour déterminer le type d'animal dont provenait l'ivoire et ses origines géographiques : « Tout d'abord, nous avons utilisé un simple microscope avec un grossissement allant jusqu'à 60 fois pour nous assurer que le matériau était bien de l'ivoire et non de l'os et pour différencier l'ivoire d'hippopotame de l'ivoire d'éléphant. » Environ 85 pour cent de l'ivoire testé provenait d'éléphants.

Ensuite, grâce à l'analyse moléculaire, ils ont pu déterminer que tout l'ivoire appartenait à des éléphants d'Afrique et non d'Asie.

Les chercheurs sont ensuite allés plus loin et ont procédé à des analyses isotopiques pour déterminer la région géographique. Les animaux absorbent des nutriments et des isotopes par le biais du sol, de la végétation et de l'eau, que les scientifiques peuvent ensuite localiser dans leurs os. La région d'origine la plus probable était le bassin du Nil Blanc, dans l'actuel Soudan, qui faisait autrefois partie de la Nubie.

Le Dr Shochat a constaté :

L'une des hypothèses générales des recherches précédentes était que l'ivoire d'éléphant provenait à la fois d'Asie et d'Afrique, et que les réseaux d'échange dépendaient eux-mêmes des conditions économiques et géopolitiques. Les chercheurs pensaient que lorsque l'empire assyrien contrôlait la région, l'ivoire devait provenir d'Asie. Nous démontrons au contraire l'existence d'un réseau millénaire qui n'a pas changé.

Il faut beaucoup de compétence pour travailler l'ivoire sous une forme fonctionnelle et décorative. L'importation et l'utilisation d'un matériau aussi fin étaient réservées aux élites. Les objets datés de la période cananéenne sont souvent associés à des contextes royaux ou cultuels. Au fil des millénaires, malgré la découverte de certains objets du quotidien, le prestige de l'ivoire est resté intact.

Lors de son entretien avec The Times of Israel, Dr. Shochat a expliqué en quoi cette découverte est capitale pour comprendre l'Israël biblique. De nombreux passages bibliques mentionnent l'utilisation de l'ivoire, souvent associé à une extrême richesse. Le Psaume 45 : 9 fait référence à des « palais d'ivoire » ; le trône du roi Salomon était fait d'ivoire (1 Rois 10 : 18) ; le palais du roi Achab était fait d'ivoire (1 Rois 22 : 39). Il est intéressant de noter que le deuxième plus grand assemblage d'ivoire trouvé dans la région se trouve être en Samarie, d'où régnait Achab. Le prophète Amos a condamné la noblesse de Samarie et de Sion (c'est-à-dire la cité de David — 2 Samuel 5 : 7) en disant qu'elle « repose sur des lits d'ivoire » (Amos 6 : 4).

« L'histoire de la reine de Saba et d'autres histoires mentionnées dans la Bible, comme le port d'Etsjon Guéber [1 Rois 9 : 26], indiquent l'existence d'un réseau d'échange vers le sud, en plus du réseau méditerranéen, et nous pouvons l'attester », a déclaré le Dr. Shochat. « L'auteur ou les rédacteurs bibliques étaient conscients de ce [réseau vers le sud]. » Il espère aborder dans ses prochaines études la manière dont les royaumes d'Israël et de Juda étaient au cœur des réseaux commerciaux internationaux.

Fin 2022, l'Autorité des antiquités d'Israël a annoncé la découverte  d'ivoires rares datant du Premier Temple , découverts à Jérusalem dans la Cité de David. Ces fragments ornés, qui ont été écrasés et brûlés, semblent avoir été logés à l'origine dans une structure royale. C'était la première fois qu'un ivoire de ce type était découvert à Jérusalem.

Les motifs sur l'ivoire étaient conformes aux thèmes couramment rencontrés dans le royaume de Juda, représentant des rosettes, des arbres et des fleurs. Il est intéressant de noter qu'ils ne comportaient aucune figure animale ou mythologique, comme c'est le cas pour ceux de Samarie et d'Assyrie.

Selon le Dr Yiftah Shalev, de   l'IAAI, cette découverte « illustre l'importance de [Jérusalem] et la place au même niveau que les capitales de l'Assyrie et d'Israël. La découverte des ivoires est un pas en avant dans la compréhension du statut politique et économique de la ville en tant qu'élément de l'administration et de l'économie mondiales. »

Ce monopole de l'ivoire donne une image claire d'un royaume biblique robuste et très puissant, impliqué dans le commerce avec des civilisations lointaines, ce qui corrobore les récits bibliques allant du roi David à la destruction assyrienne.