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Interview : Dr Yoav Farhi

DR. YOAV FARHI [Tal Rogovski]

Interview : Dr Yoav Farhi

En décembre, le professeur Uzi Leibner de l’Université hébraïque a annoncé la découverte d’une pièce de monnaie en argent d’un demi-sicle exceptionnellement rare. Découverte lors des fouilles sur l’Ophel en 2022, parrainées par l’Institut Armstrong d’archéologie biblique, cette pièce remarquable a été frappée la troisième année de la Grande Révolte.

La pièce a été analysée par le Dr Yoav Farhi, expert en numismatique, spécialiste des pièces de monnaies de l’équipe de fouilles et conservateur du pavillon numismatique Kadman au musée d’Eretz Israël à Tel Aviv. Le Dr Farhi s’est rendu à l’institut pour discuter de la pièce, ainsi que du sujet de la monnaie ancienne, avec le rédacteur en chef adjoint de Let the Stones Speak [Laissez parler les pierres], Brent Nagtegaal. L’interview suivante a été modifiée pour des raisons de clarté et de longueur.

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Brent Nagtegaal : Merci de nous rendre visite aujourd’hui. Commençons par cette pièce d’argent extrêmement rare. Que pouvez-vous nous dire sur cette pièce et son importance ?

Yoav Farhi : Comme vous le savez, nous avons beaucoup de pièces trouvées dans les fouilles. Mais celle-ci est vraiment unique et rare. La plupart des pièces trouvées dans les fouilles sont en bronze, mais celle-ci est en argent. C’est une pièce d’argent d’un demi-sicle qui a été frappée pendant la troisième année de la Grande Révolte, qui a eu lieu entre 66 et 70 après J.C. Très peu de pièces en argent de la période de la révolte ont été trouvées par les archéologues dans les fouilles. Cette pièce spécifique a été fabriquée au cours de la troisième année de la révolte. Nous n’avons trouvé que trois pièces de ce type à Jérusalem, sur des dizaines de milliers, ce qui fait que cette pièce est vraiment rare à Jérusalem.

BN : La plupart des pièces de monnaies de la révolte sont en bronze. Mais celle-ci est en argent. Pourquoi cette différence ?

YF : Bon, alors revenons un peu en arrière. Tout d’abord, comprenez que les pièces frappées par les rebelles à Jérusalem entre 66 et 70—cinq ans de pièces—ont en fait remplacé d’autres pièces utilisées par les Juifs avant la révolte. Beaucoup d’entre elles étaient des pièces d’argent, et elles font également partie d’une série. Pendant la révolte, ils avaient le quart de sicle, le demi-sicle et un sicle.

BN : Cette métrique est-elle liée au poids lui-même ou à sa valeur ?

YF : C’est la dénomination de la pièce. C’est le poids, mais aussi le nom de la pièce ; il est également écrit sur la pièce. En soi, c’est quelque chose de très rare. La plupart des pièce de monnaie anciennes ne portent pas leur dénomination. Nous avons ici une pièce en argent d’un demi-sicle : une pièce juive écrite dans l’ancienne écriture hébraïque de la troisième année de la révolte. Cette pièce d’un demi-sicle contient environ 7 grammes d’argent. Le sicle complet contenait environ 14 grammes. Ces pièces ont été frappées de manière très intentionnelle. L’idée était de remplacer les pièces d’argent tyriennes provenant de Tyr au Liban—la « Phénicie » à l’époque—qui étaient utilisées pour payer le demi-sicle de tribut au temple par chaque homme juif.

BN : Payaient-ils ce demi-sicle une fois par an ou à chaque fois qu’ils se rendaient à Jérusalem ?

YF : Une fois par an, vous deviez verser cet argent pour le fonctionnement du temple. Du deuxième siècle avant J.C. jusqu’à la révolte, les Juifs utilisaient des pièces de monnaie tyriennes pour l’impôt du temple parce qu’elles étaient très riches en argent—très pures.

Le problème que de nombreux Juifs rencontraient avec les pièces de monnaie tyriennes était qu’elles portaient le visage du dieu tyrien Melkart/Héraclès. Et au dos, il y avait un aigle. Ces deux symboles sont problématiques pour les Juifs. Ainsi, les Juifs, que les Romains n’autorisaient pas à frapper leurs propres pièces d’argent, ont donc profité de la révolte pour remplacer les pièces tyriennes.

Les pièces de monnaie sont très symboliques. Frapper une nouvelle pièce n’était pas sans importance ; cela donnait aux Juifs l’occasion de développer leur propre symbole national. Avec cette pièce, ils montraient non seulement aux Romains : « Nous pouvons frapper des pièces d’argent sans votre permission », mais ils remplaçaient également les pièces quelque peu offensantes utilisées pour l’impôt du temple.

Comme vous pouvez le voir sur la pièce que nous avons trouvée, il n’y a pas de visages, et il n’y a pas de dieux. D’un côté, vous avez des ustensiles de temple—un gobelet ou un calice. Et sur l’autre, vous avez une branche avec trois grenades. Ces symboles sont tous liés au temple. Les inscriptions ici sont en écriture hébraïque ancienne ; l’écriture sur les pièces de monnaie tyriennes était grecque. Bien sûr, ces pièces étaient utilisées pour d’autres devises que le service du temple. Mais rappelez-vous, c’était pendant une guerre. Ce n’était pas le moment pour les gens d’acheter des terres ou des maisons ; ce n’est tout simplement pas le moment. Ces pièces d’argent n’étaient généralement pas utilisées pour les transactions courantes ; ce n’est pas comme si vous achetiez du pain avec une pièce d’argent. Elles étaient destinées à des transactions coûteuses. Mais leur utilisation principale était pour le temple.

BN : Et nous croyons que ces pièces ont été frappées à Jérusalem ?

YF : Oui, à Jérusalem.

BN : Avons-nous trouvé l’hôtel de la Monnaie ?

YF : Non. Malheureusement, non seulement ici, mais dans le monde entier, nous n’avons presque pas d’hôtel de la Monnaie trouvé dans l’histoire. Lorsque nous considérons un hôtel de la Monnaie de cette période, ce n’est pas comme aujourd’hui, où nous avons un grand bâtiment avec le titre « Monnaie » dessus. À cette époque, l’hôtel de la Monnaie était plutôt constitué de deux hommes avec un marteau, un ciseau et quelques autres outils. Ils préparaient les flans, et peut-être aussi les matrices, puis frappaient les pièces. Peut-être aurons-nous la chance de trouver l’hôtel de la Monnaie original. Mais jusqu’à présent, nous ne l’avons pas.

BN : Vous avez mentionné l’écriture sur ces pièces et qu’il s’agissait de l'hébreu ancien. La troisième année a une certaine inscription—qu’est-ce que c’était ?

YF : En fait, toutes ces séries de demi-sicles et de sicles ont les mêmes légendes, à une différence près : la date. D’un côté, l’inscription dit « Yerushalayim hakdoshah, » ce qui signifie « la sainte Jérusalem » ou « Jérusalem la sainte ». Et de l’autre côté, on peut lire soit sicle Israël, c’est-à-dire « sicle d’Israël », ou hatsi hasicle, c’est-à-dire « demi-sicle ». Et puis il y a le calice au centre de la pièce. Au-dessus du calice, il y a deux lettres—encore une fois deux anciennes lettres hébraïques, pas la date en chiffres—et il est écrit shin gimel, ce qui signifie shanah gimel : « Année trois ».

BN : Oui, la troisième lettre de l’alphabet.

YF : Oui, la troisième lettre de l’alphabet hébreu. Et c’est la seule chose qui a changé entre ces pièces. Ainsi, sur les pièces de « l’année A », l’année un, vous aurez l’aleph, et sur les pièces de l’année 2, vous aurez le bet. Ensuite, vous avez le gimel, le dalet et le heh pour la cinquième année. C’est donc la seule chose qui a changé entre les pièces. Mais les inscriptions—Yerushalayim hakdoshah (« Jérusalem la sainte ») et hatsi hasicle (« demi-sicle ») ou le sicle—sont la norme. Bien que cela dépende de la dénomination, bien sûr.

BN : Parlons plus généralement des pièces de monnaie anciennes. Vous êtes un numismate, vous aimez étudier les pièces. Pouvez-vous nous parler un peu de l’utilité ou de l’importance des pièces de monnaie en archéologie ?

YF : Ce qui est si étonnant, à mon avis, quand on a affaire à des pièces de monnaie, c’est qu’on dispose de tant d’informations sur un objet aussi minuscule. Parfois, les pièces sont vraiment, vraiment petites. Nous parlons ici d’une pièce d’environ 20 millimètres de diamètre. Certaines pièces font 5 ou 7 millimètres—elles sont vraiment minuscules. Et vous avez tout un monde de symboles, d’inscriptions, d’imaginations sur la pièce. Pour les archéologues, la découverte d’une pièce lors de fouilles peut être importante pour plusieurs raisons. Premièrement, elle nous aide à dater la couche que nous fouillons. Si nous trouvons des pièce de monnaies typiques de la révolte, nous savons que nous sommes dans une couche liée à la révolte. Et au-dessus, nous aurons des pièces de monnaie concernant la période romaine ultérieure, ou les périodes byzantine, islamique, etc. Les pièces nous aident donc à dater la couche que nous fouillons.

Deuxièmement, les pièces nous communiquent des informations sur différents aspects de ce que ces personnes de l’époque voulaient dire aux autres. Dans l’Antiquité, les choses n’étaient pas comme aujourd’hui, où l’on dispose de toutes sortes de médias pour communiquer—nous avons l’Internet, Facebook, les journaux. À l’époque, la principale source de média était la pièce de monnaie. Vous frappiez votre message aux autres sur vos pièces. Cette pièce changeait ensuite de mains. Elle passait de l’un à l’autre, d’un endroit à l’autre, et elle transportait le message.

Lorsque j’étudie une pièce de monnaie et que je lis l’inscription, j’essaie de revenir à ces gens, j’essaie de comprendre ce qu’ils voulaient dire. J’essaie de regarder le monde à travers leurs yeux, et à travers les symboles qu’ils ont mis sur la pièce, et les inscriptions qu’ils ont mises sur la pièce. C’est aussi pourquoi les pièces sont importantes. Elles ne nous donnent pas seulement une date, elles nous renseignent sur les personnes qui ont vécu et sur leurs idées, leurs souhaits, leur vision du monde et de la situation au moment où la pièce a été frappée.

BN : Oui, et c’est ce qui rend cette pièce de monnaie de la révolte si spéciale. C’est un message du peuple juif de Judée d’il y a 2 000 ans.

YF : Exactement. Quand ils disent Yerushalayim hakdoshah, « Jérusalem la sainte », c’est ce qu’ils veulent dire : « la sainte Jérusalem ». C’est ce qu’ils avaient en tête lorsqu’ils combattaient les Romains pour leur indépendance.

BN : Quelle découverte spéciale. Merci d’avoir passé un peu de temps avec nous. Nous avons apprécié votre participation à l’analyse des pièces provenant des fouilles de l’Ophel et à la mise en lumière de ce demi-sicle en argent.

YF : Merci beaucoup, et nous espérons avoir plus de pièces de monnaie la saison prochaine.

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