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Plier le monde à ses règles

iStock.com/mixmagic

Plier le monde à ses règles

La capacité croissante de l’Europe à dicter les règles et les pratiques du commerce mondial vaut la peine d’y regarder. 

Une guerre de contrôle est entrée en éruption entre l’Union européenne et les États-Unis. Voyez avec les dirigeants de Microsoft! À la mi-janvier, ils ont été forcés de mettre leurs cocktails de whisky et leurs crosses de golf de côté, et de sortir leurs costumes à fines rayures et leurs livres de lois quand le commissaire à la concurrence, de l’UE, Neelie Kroes, a initié une nouvelle enquête antitrust chez le Goliath des sociétés américaines.

L’annonce du 14 janvier de N. Kroes a été du sel sur une blessure déjà douloureuse, pour Microsoft. À peine trois mois étaient passés depuis que l’hippopotame américain avait cédé et avait mis fin à son opposition à une décision de 2004 de l’UE, qui dénonçait les rouages internes du système d’exploitation de Microsoft aux concurrents européens, avait réduit sa collecte de redevances et avait garanti qu’il paierait les amendes imposées par l’UE.

Le 27 février, les comptables de Microsoft ont de nouveau dû faire des heures supplémentaires quand, pour la troisième fois en quatre ans, l’UE a fait sursauter le géant de l’entreprise avec une autre amende record de 899 millions d’euros. Tout cela dit, Microsoft doit maintenant à la Commission européenne 2,6 milliards de dollars américains—il ne s’agit pas d’une petite affaire!

Microsoft, cependant, n’est qu’une des sociétés américaines vers lesquelles les costumes de Bruxelles ont pointé leurs canons juridiques. Qualcomm, Intel, MasterCard, Google et Apple ont tous été sujets aux revendications déposées par les régulateurs antitrust de l’UE.

Quand Microsoft a agité le drapeau blanc devant l’UE en octobre dernier, le Wall Street Journal a dit que cela montrait que «l’Europe écrit maintenant les règles pour les affaires mondiales à tous les niveaux—sans s’excuser des profits qu’en tirera sa propre industrie» (31 octobre 2007). La capitulation de Microsoft et l’impuissance du gouvernement américain à persuader les Européens de laisser un peu de mou, ont envoyé un message clair aux compagnies américaines comptant mener des affaires sur le continent: Votre seule option, c’est d’obéir!

Il y a une réalité perturbante derrière les efforts de l’UE à devenir le donneur de ton mondial dans les standards et les pratiques du commerce.

L’Europe dicte les règles

Il semble que l’angle antitrust n’est qu’un simple théâtre dans une guerre beaucoup plus large de l’Europe contre les affaires américaines. «La stratégie de l’Union européenne consistant à prendre la barre de contrôle est évidente dans les questions comme le changement climatique, la réglementation des produits chimiques et des organismes génétiquement modifiés, et une réglementation antitrust, pour laquelle l’Europe a adopté des régimes de législation ou de mise en vigueur qui sont plus stricts que ceux des États-Unis—et qui, à travers ‘l’effet Californie’, forcent des changements à l’échelle mondiale», ont écrit les analystes de Stratfor (17 janvier).

L’utilisation par Stratfor de l’expression «effet Californie» fait allusion au phénomène américain par lequel la Californie, comme l’un des plus grands et plus riches états, peut pratiquement dicter la politique nationale en mettant ses propres normes publiques et en forçant des sociétés nationales à se conformer, ou à perdre des affaires dans cet état. De la même manière que les compagnies américaines importantes ne peuvent se permettre d’ignorer le marché de la Californie, peu de sociétés multinationales peuvent se risquer à renoncer à leur présence massive et extrêmement lucrative dans l’économie européenne en rejetant des textes réglementaires de l’UE. Cela explique pourquoi Microsoft a cédé à la demande de l’UE en octobre dernier.

En juin de 2007, le Parlement européen donnait force de loi à la réglementation sur l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des produits chimiques (reach). Apparemment conçue pour protéger la santé des Européens, elle interdit certains produits chimiques, en restreint sévèrement d’autres et exige des tests stricts, des comptes-rendus et l’enregistrement de tous les produits chimiques importés en Europe. Cette simple loi pourrait révolutionner l’industrie chimique mondiale. Toute compagnie voulant vendre des produits chimiques en Europe sera forcée d’être en ligne avec ses directives. reach affectera probablement davantage les compagnies chimiques américaines. Elles sont les plus grandes au monde et doivent maintenant dépenser des millions de dollars en tests, en comptes-rendus et en enregistrement de leurs produits pour se conformer aux normes de l’UE.

REACH donne essentiellement aux nations européennes le pouvoir de dicter la politique mondiale dans la fabrication chimique. En fait, ses effets se répercutent au-delà de l’industrie chimique. Par exemple, toutes les compagnies cosmétiques étrangères voulant exporter en Europe doivent faire enregistrer les produits chimiques contenus dans leurs produits. Pour être équitable, cette réglementation s’appliquera aussi aux compagnies européennes. La seule différence, c’est que les compagnies étrangères doivent s’y conformer au 1er juin de cette année, pendant que leurs contreparties sur le continent ont au moins trois ans avant d’être tenues d’en faire autant.

REACH donne à l’UE une capacité incomparable d’exercer son influence loin au-delà de ses propres frontières, dans les industries—et les économies—d’autres pays.

Vivre selon ses règles

La façon d’opérer de l’UE est pratiquement la même par rapport à la question hautement politisée du changement climatique. Le 23 janvier, les leaders de l’UE à Bruxelles ont annoncé «un paquet de mesures radicales pour combattre le changement climatique qui met en place une norme mondiale, et qui signifie des changements importants sur la façon dont l’Europe acquerra son énergie» (Times, du 23 janvier).

Le problème, c’est que la stratégie de l’UE pour résoudre les problèmes liés au changement climatique est si extrême, que certains craignent que les compagnies européennes soient poussées à s’implanter dans des pays ayant des lois, sur l’environnement, moins strictes. Comment l’UE projette-t-elle de prévenir un tel exode? Au lieu de tempérer la politique pour rendre cela plus réalisable, elle projette d’imposer «les tarifs de carbone sur les importations des pays qui n’adhèrent pas à un traité sur le changement climatique mondial tels les États-Unis et la Chine» (ibid.).

L’Europe a tous les droits pour montrer le chemin en direction de ce problème illusoire. Mais elle le fait en imposant ses normes au reste du monde, et en se proposant de pénaliser toute nation qui ne s’y conforme pas—même quand les compagnies européennes disent que cette conformité est impossible!

Ensuite il y a la question des aliments et des produits agricoles génétiquement modifiés. En novembre de 2005, l’Organisation mondiale du commerce a décidé que quelques États européens cassaient les règles du commerce international en ne permettant pas l’importation de produits agricoles et d’aliments ogm. L’omc a demandé à la Commission européenne de mettre ses États membres en phase avec les règles de l’omc concernant les produits agricoles et les aliments ogm. Après deux ans, cette date limite a expiré le 11 janvier. La Commission européenne n’a pas fait respecter les règles largement acceptées de l’omc; en fait elle a demandé à l’omc plus de temps pour travailler avec les États membres pour les aider à mettre les normes nationales en accord avec les lois commerciales mondiales. Deux ans n’étaient pas suffisants?

Notez la tendance: Sur les questions antitrust, les normes en matière de climat et sa nouvelle loi reach, l’UE est tout à fait heureuse d’imposer de nouvelles normes—souvent au prix fort—à l’Amérique et au reste du monde. Mais quand elle en vient aux aliments génétiquement modifiés, l’UE vit selon ses propres règles.

Davantage à venir

Vous pouvez être sûrs que la réglementation impérialiste de l’Europe ne deviendra que plus intense.

Mi-janvier, les bourses européennes ont été durement frappées—beaucoup subissant leur pire baisse en un seul jour depuis le 11/9—en raison des craintes croissantes que l’économie américaine est au bord d’une récession. «Comme si la réglementation politique sur le changement climatique et les produits chimiques… n’étaient pas assez» écrit Stratfor, «l’impact, en Europe, de la crise des ‘subprimes’ dans l’immobilier a accru la perception de l’Europe qui voit les États-Unis comme un traînard. Les banquiers et les régulateurs en Europe soutiennent que le relâchement de la réglementation américaine en matière de titres de créance hypothécaire est responsable des problèmes en Europe émanant de la crise des ‘subprimes’ …» (op. cit.).

Alors que l’insouciance économique de l’Amérique ondule pour créer un impact sur les économies européennes, les dirigeants européens se creusent les méninges pour trouver les moyens de réguler, protéger et même guider l’économie mondiale. Sûrement, ce ne sera pas long avant que nous ne voyions l’UE imposer des nouvelles lois et des normes pour protéger ses intérêts monétaires et sauvegarder l’économie mondiale. Après tout, les temps tumultueux requièrent des solutions de grande portée—et les dirigeants européens ne manquent jamais une occasion pour étendre leur pouvoir bureaucratique.

Après la victoire de l’UE sur Microsoft l’année dernière, Mario Monti, ancien commissaire à la concurrence de l’UE, responsable du succès de l’Europe, a dit à un journal italien que remettre de tels géants américains à leur place était «la vraie force d’une Europe unie».

C’est une déclaration révélatrice.

Neelie Kroes, l’actuel commissaire européen à la concurrence, a salué la décision en songeant à quel bas niveau elle aimerait que les actions de Microsoft chutent.

Les Américains devraient considérer l’esprit de ces déclarations. Ce n’est pas une série de batailles indépendantes, sans rapport entre l’Europe et certaines compagnies ou industries particulières en Amérique. Ce n’est pas l’Europe contre Microsoft; l’Europe contre Google; l’Europe contre les aliments ogm, ou l’Europe contre les entreprises de produits chimiques américaines.

C’est l’Europe contre l’Amérique!

M. Monti et N. Kroes ne sont pas des renégats politiques d’une région inexploitée; ils ont fait ces déclarations alors qu’ils étaient au poste de commissaire à la concurrence de l’UE—c’est-à-dire la personne responsable du façonnement de l’environnement des affaires européennes, et responsable de la gestion de la capacité des compagnies étrangères à participer au marché européen. «Le commissaire à la concurrence de l’UE Neelie Kroes a beaucoup plus de prestige et de pouvoir que sa contrepartie aux États-Unis», a écrit Stratfor. «Le pouvoir donné au commissaire de la concurrence reflète probablement l’opinion de l’UE que de tels pouvoirs de contrôle offrent des avantages politiques et stratégiques…» (op. cité.).

Finalement, c’est le point crucial en la matière. En utilisant sa largesse économique pour établir des normes mondiales et définir les pratiques mondiales du commerce, l’UE gagne progressivement le pouvoir de transformer l’économie mondiale.

L’histoire offre une leçon importante que nous ferions bien de nous souvenir alors que nous voyons cette tendance se poursuivre: la nation qui contrôle l’économie mondiale possède le pouvoir politique et stratégique de façonner le monde. 

LA TROMPETTE EN BREF

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