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Un regard objectif sur la datation au radiocarbone

Emma Moore/AIBA

Un regard objectif sur la datation au radiocarbone

La datation au carbone peut être un outil archéologique extrêmement utile. Mais est-ce la solution fiable et objective que l'on présente souvent comme le remède miracle ?

Dans une interview accordée en 2021 à l’ Albright Institute , le professeur Israël Finkelstein a vanté les mérites de la datation au radiocarbone dans le domaine d’archéologie. « Nous devons nous tourner vers le radiocarbone, vers la datation au carbone 14 », a-t-il déclaré. Utiliser la datation au carbone nous permet de « déconnecter la discussion de la compréhension que l’on a des versets bibliques, car le radiocarbone n’est pas influencé par la Bible ».

Le professeur Finkelstein est bien connu comme l'un des principaux défenseurs de la « chronologie basse » de la Monarchie Unie d'Israël. Selon cette théorie, les structures monumentales en fer IIA, traditionnellement datées des règnes de David et Salomon au début du 10e siècle avant J.-C., ont en fait été construites près d'un siècle plus tard, au cours du 9e siècle avant J.-C. Finkelstein a longtemps affirmé que sa position de basse chronologie pouvait être prouvée par la datation au carbone.

Mais il y a un problème : les adversaires du professeur Finkelstein sur cette question—ceux qui recommandent la chronologie haute (la datation traditionnelle des structures)—utilisent également la datation au radiocarbone pour appuyer leur argument. En fait, la datation au radiocarbone a été largement utilisée, surtout au cours de la dernière décennie, comme preuve à l’appui de la datation traditionnelle de la chronologie de la Monarchie unifiée.

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La regrettée Dre Eilat Mazar, par exemple, a utilisé la datation au carbone dans ses fouilles dans la Cité de David pour identifier le palais du roi David. (La Dre Mazar a peut-être été la première à utiliser cette technologie dans une fouille de Jérusalem). Son collègue, le professeur Yosef Garfinkel de l’Université hébraïque, est également un partisan de la datation au carbone et a utilisé cette technologie pour identifier plusieurs sites impressionnants de l’ère « Davidique ». Selon le professeur William Dever, la datation au carbone—plutôt que de prouver la théorie de Finkelstein—donne en fait un « coup fatal » à la théorie de la chronologie basse.

Quelle énigme ! Comment toutes les parties du débat peuvent-elles utiliser la datation au radiocarbone pour prouver des positions totalement différentes sur la datation de la Monarchie unifiée ?

L’une des réponses met en évidence une réalité cruciale et pourtant largement méconnue : malgré la façon dont les gens la présente, la datation au radiocarbone n’est pas un moyen de datation incroyablement précis, entièrement indépendant, purement scientifique et objectif !

Il ne fait aucun doute que la datation au radiocarbone peut s’avérer un outil fantastique en archéologie. C’est un outil que nous recommandons comme moyen de corroborer les dates et que nous avons utilisé dans nos propres travaux archéologiques avec la Dre Mazar. Et c’est un outil que nous continuerons à utiliser et à recommander. Mais tant la science que la pratique de la datation au carbone sont loin d’être parfaites. Cela signifie que la datation au carbone n’est pas la solution miracle telle que certains la présente. La vérité est que la datation au radiocarbone est intrinsèquement basée sur de nombreuses hypothèses et sur une science et des mathématiques imparfaites. En outre, comme toute forme de données, elle est susceptible d’être mal interprétée, mal comprise et mal gérée.

Jetons un regard objectif sur la datation au radiocarbone.

Une leçon de chimie

Tout d’abord, qu’est-ce que la datation au radiocarbone ? La datation au radiocarbone, également appelée datation au carbone, datation au carbone 14, C-14 ou 14C, fut inventée par le physico-chimiste américain Willard Libby dans les années 1940. Cette forme de datation n’est qu’une des nombreuses méthodes de datation scientifique connues sous le nom de datation radiométrique (ou radio isotopique). La datation au carbone est généralement utilisée pour déterminer l’âge des substances « plus jeunes »—c’est-à-dire des substances organiques datant de moins de 50 mille ans. Parmi les différentes formes de datation radiométrique (par exemple, la datation à l’uranium, la datation au samarium-néodyme), la datation au radiocarbone est largement considérée comme la plus fiable.

En termes simples, la datation au carbone détermine l’âge d’une substance en mesurant les niveaux de carbone qu’elle contient. La datation au carbone ne peut être utilisée que pour dater les substances organiques—telles que les os, les graines, les grains, les tissus naturels ou le charbon de bois. Les substances inertes, telles que les pierres ou les objets en argile, ne peuvent pas être datées au carbone.

La substance organique contient différents types de carbone : le carbone 12 (C-12) et le carbone 14 (C-14). Dans la nature, la majorité des atomes de carbone ont un noyau contenant six protons et six neutrons : cela forme le carbone-12, qui est stable. Mais dans certains atomes de carbone, le rayonnement solaire fait que l’atome acquiert deux neutrons supplémentaires. Ces isotopes radioactifs sont appelés le carbone 14.

Le nombre d’atomes de C-14 sur Terre est minuscule par rapport au nombre d’atomes de C-12. Environ un atome de carbone sur mille milliards est un atome de C-14. Tous les organismes vivants, y compris les plantes, les animaux et les humains, contiennent ces atomes C-14, qui sont absorbés dans l’organisme vivant avec le dioxyde de carbone de l’atmosphère. Tant qu’un organisme est vivant, le rapport C-14 dans cet organisme vivant devrait correspondre au rapport C-14 dans l’atmosphère. Cependant, lorsque l’organisme meurt, le carbone n’est plus absorbé. Et tandis que le C-12 stable dans l’organisme reste le même, les isotopes C-14 commencent à se désintégrer. La désintégration régulière et constante du C-14 radioactif offre aux scientifiques la possibilité de mesurer le temps.

Ce processus de désintégration radioactive est connu sous le nom de « demi-vie ». Le site technique Labmate Online propose une bonne définition de ce terme : « La demi-vie désigne le temps qu’il faut à un objet pour perdre exactement la moitié de la quantité de carbone (ou d’un autre élément) qu’il contient. […] La demi-vie du carbone est de 5730 ± 40 ans, ce qui signifie qu’il faudra ce temps pour passer de 100 grammes de carbone à 50 g—soit exactement la moitié de sa quantité initiale.

« En testant la quantité de carbone stockée dans un objet, et en la comparant à la quantité originale de carbone supposée avoir été stockée au moment de la mort, les scientifiques peuvent estimer son âge. »

Cela semble simple, n’est-ce pas ? Mais ça ne l’est pas. Pour que les scientifiques puissent calculer depuis combien de temps un organisme est mort, ils ont besoin de deux informations cruciales. Premièrement, ils doivent connaître la quantité de C-14 présente dans l’organisme mort. Cette quantité peut être facilement mesurée à l’aide de ce que l’on appelle un spectromètre de masse. Deuxièmement, le scientifique doit savoir quelle quantité de C-14 se trouvait dans l’organisme lorsqu’il était vivant. C’est là que cela devient difficile—vraiment difficile.

Bien entendu, les scientifiques d’il y a des milliers d’années ne mesuraient pas et ne documentaient pas le ratio C-14 des organismes à leur mort. Les données concrètes ne sont pas disponibles. Alors comment les scientifiques déterminent-ils cette mesure cruciale ?

Faire des suppositions

En l’absence des chiffres réels, les scientifiques font une série d’hypothèses.

La science de la datation au radiocarbone repose sur une théorie appelée l'uniformitarisme, en d’autres termes la doctrine de l’uniformité. Il s’agit de la théorie selon laquelle, tout au long de l’histoire, les changements sur la Terre s’étaient produits d’une manière généralement lente, cohérente et uniforme. Cette théorie postule que les processus terrestres « agissaient de la même manière et avec essentiellement la même intensité dans le passé que dans le présent » (Encyclopedia Britannica). Cette théorie s’oppose à la théorie du catastrophisme (le modèle biblique), qui suggère que l’histoire de la Terre était façonnée par des changements cataclysmiques—des événements qui pourraient, par exemple, modifier radicalement les rapports de carbone atmosphérique.

Pour répondre à la question fondamentale de savoir quelle quantité de C-14 se trouvait dans un organisme ancien au moment de sa mort, les scientifiques, s’appuyant sur la théorie de l'uniformitarisme, supposent que la quantité de C-14 dans l’atmosphère est restée globalement constante au cours de l’histoire.

Cela repose sur l’hypothèse que le niveau constant de C-14 atmosphérique a atteint son « équilibre » au début de l’histoire de la Terre. Selon Labmate Online : « En mesurant le taux de production et de désintégration […] les scientifiques ont pu estimer que le carbone dans l’atmosphère […] atteindrait l’équilibre dans 30 mille à 50 mille ans. Comme on estime que l’univers a des millions d’années, on a supposé que cet équilibre fut déjà atteint. »

Ces hypothèses, intégrées à la science de la datation au radiocarbone dès sa création, posent de nombreux problèmes. Par exemple, les scientifiques ont découvert dans les années 1960 que le taux de croissance du C-14 était en fait nettement supérieur (de près d’un tiers) au taux de désintégration. « Cela indiqua en fait que l’équilibre n’avait pas été atteint, introduisant ainsi une erreur dans les hypothèses des scientifiques sur la datation au carbone » (ibid.).

Et ce n’est pas tout. Non seulement il n’existe pas d’équilibre observable du carbone 14 dans l’atmosphère, mais les scientifiques ont également découvert que les taux de production et de désintégration du carbone 14 fluctue au fil du temps. (Cette vérité fut en fait identifiée par Willard Libby, mais comme ses conclusions contredisaient le modèle uniformitarisme reçu, les divergences furent rejetées comme une « erreur expérimentale »).

Si les niveaux historiques de C-14 fluctuent constamment, comment les estimer ?

A.P.—le nouveau avant J.-C.

Logiquement, il faut d’abord un point de départ clair, contre lequel on peut comparer les rapports passés—un rapport fixe et « moderne » du carbone 12 au carbone 14. Ce point de départ fut déterminé à la fin des années 1950.

Une « grande quantité d’acide oxalique dihydraté contemporain fut préparée » et échantillonnée comme valeur de référence pour le C-12 au C-14 atmosphérique, explique l’expert en chimie Lloyd A. Currie dans « The Remarkable Metrological History of Radiocarbon Dating II » (Journal of Research of the National Institute of Standards and Technology, 1er avril 2004) [La remarquable histoire métrologique de la datation au radiocarbone II ; Journal des recherches de l’Institut nationale des standards et technologie]. Cet échantillon, tiré spécifiquement de l’année 1950, servirait de ratio moderne « standard » auquel l’on peut comparer les ratios historiques de C-12 à C-14. « Cette valeur est définie comme le ‘carbone moderne’ avec pour référence l’année 1950 après J.C. Les mesures de radiocarbone sont comparées à cette valeur de carbone moderne […] en utilisant la relation de désintégration exponentielle et la ‘demi-vie de Libby’, soit 5568 ans. Les âges sont exprimés en années avant le présent (A.P.), où le ‘présent’ est défini comme l’année 1950 » (ibid.).

Par exemple, une date radiocarbone de 3000 ans avant notre ère est techniquement antérieure de 3000 ans à l’année 1950, soit 1051 ans avant notre ère (en tenant compte du fait qu’il n’y a pas d’année zéro).

En établissant les ratios de carbone en 1950, les scientifiques ont créé une référence par rapport à laquelle ils pouvaient mesurer les niveaux historiques. C’est une bonne idée, mais pas parfaite. Et une fois encore, certaines hypothèses ont été nécessaires pour fixer ce chiffre de référence si important, ce qui remet en question son intégrité. Par exemple, dans cet échantillon de 1950, la concentration de C-14 « était d’environ 5 pour cent supérieure à ce que l’on croyait être le niveau naturel, de sorte que la norme pour la datation au radiocarbone fut définie comme étant 0,95 fois la concentration de 14C de cette substance », écrivait Currie (c’est nous qui soulignons).

Les scientifiques ont également découvert que même le calcul initial de la demi-vie du C-14, qui était de 5568 ans, était « erroné ». La valeur désormais déterminée est de 5730 ans (là encore, ± 40 ans), soit près de deux siècles de plus que le chiffre traditionnel. Même si l’on sait qu’il est incorrect, les scientifiques continuent aujourd’hui à utiliser le chiffre de 5568 ans de la « demi-vie de Libby ». Pourquoi ? Pour maintenir la cohérence avec les premiers chiffres du radiocarbone ; les chiffres définitifs sont ensuite calibrés pour compenser cette erreur de calcul.

Il peut s’avérer difficile à suivre toutes ces opérations mathématiques et chimiques. L’essentiel est le suivant : la prémisse scientifique de la datation au radiocarbone ne repose pas entièrement sur des faits concrets ou absolus. Elle repose, au moins en partie, sur des suppositions et des hypothèses éclairées.

Il existe d’autres variables qui doivent également être considérées et prises en compte.

Autres variables

Le facteur le plus connu ayant un impact sur la datation au radiocarbone est peut-être les essais d’armes nucléaires dans l’atmosphère qui ont eu lieu au cours des 80 dernières années. Les isotopes radioactifs provenant de ces essais ont « infecté », au moins à un certain niveau, tous les organismes vivants de la planète, provoquant une augmentation des niveaux de carbone 14 (et entraînant une datation à valeur nominale généralement plus jeune que prévu).

C’est l’un des avantages de l’utilisation de l’ensemble de données de 1950 comme norme, car il est antérieur à une grande partie de cette contamination nucléaire (mais pas à toutes). En ce qui concerne l’impact de l’homme sur les niveaux de C-14, les essais nucléaires ne sont que la partie émergée de l’iceberg. À l’ère industrielle, par exemple, la combustion de combustibles fossiles a libéré dans l’atmosphère d’énormes quantités de dioxyde de carbone appauvri en C-14.

Et ce n’est pas seulement la technologie moderne qui impacte le bilan du carbone atmosphérique. Comme nous l’avons indiqué, le rapport n’a jamais été constant, pas plus que le taux de désintégration. Cela est dû au fait que toutes sortes de phénomènes naturels influencent les niveaux de carbone, sapant ainsi les hypothèses utilisées dans la datation au radiocarbone.

Les rayons cosmiques, ainsi que les éruptions et les taches solaires, affectent directement la quantité de C-14 dans l’atmosphère. Il en va de même pour le passage de notre système solaire dans les nuages magnétiques de la Voie lactée. Les fluctuations du champ magnétique terrestre jouent un rôle dans les niveaux de C-14, notamment des phénomènes tels que les inversions géomagnétiques et les excursions de polarité (globales ou localisées). Même de simples changements saisonniers impactent les taux de désintégration du C-14 : selon la période de l'année à laquelle un organisme est mort, cela peut affecter sa datation de plusieurs décennies.

La liste est longue. Les volcans émettent du CO2 appauvri en C-14 dans l’atmosphère, ce qui contribue à une datation plus ancienne qu’en réalité chez les substances organiques qui sont impactées, en particulier dans les régions volcaniques (comme l’île de Santorin). La glaciation est une autre variable ; le carbone qui se trouve dans les glaciers est appauvri en C-14, ce qui donne à la matière organique un âge plus ancien qu’en réalité.

Les taux de carbone 14 peuvent même varier en fonction de la partie de la planète où est prélevé l’échantillon. Les niveaux de C-14 sont généralement plus appauvris dans l’hémisphère sud, ce qui entraîne des âges artificiellement plus élevés. « L’effet d’île » est lié à ce phénomène. Les scientifiques estiment que la datation au carbone des substances provenant d’une île, qui est entourée de masses d’eau, donne des dates plus anciennes qu’en réalité. Encore une fois, toutes ces variables doivent être calibrées et intégrées dans les calculs et les modèles de radiocarbone.

Les difficultés entrainées notamment par l’eau, et par les objets liés à l’eau, ne font que s’aggraver. La principale difficulté est « l’effet du réservoir marin ». Le carbone ingéré et absorbé par les organismes marins est généralement beaucoup plus ancien que celui consommé par les organismes terrestres. On sait que dans la datation du carbone, cela entraîne des écarts de centaines, et même de milliers d’années. La température et la profondeur de l’eau jouent également un rôle dans l’absorption du carbone. Il y a aussi « l’effet de l’eau dure ». La teneur en carbone des rivières et des eaux souterraines est influencée par le type de roches sur lesquelles l’eau coule. À titre d’exemple, la datation au carbone a trouvé des moules âgées de plus de 2000 ans, à cause de l’eau appauvrie en carbone 14 par contact avec des sols calcaires et humifères, à laquelle les moules avaient été exposées.

Cela peut sembler périphérique au domaine de l’archéologie terrestre. Pourtant, il s’agit d’un problème réel, notamment en ce qui concerne les organismes terrestres qui consomment des animaux marins—y compris les humains. Un exemple célèbre est celui d’une sépulture viking dans le Derbyshire, en Angleterre. Les pièces de monnaie trouvées sur le site, parmi d’autres éléments contextuels, l’ont clairement daté du 9e siècle de notre ère. Pourtant, la datation au carbone des ossements humains laissait penser qu’ils étaient plusieurs siècles plus anciens. L’énigme a finalement été résolue en 2018, lorsque les scientifiques ont réalisé que l’écart était dû au régime alimentaire des Vikings, riche en fruits de mer et appauvri en C-14—faisant paraître les os plus anciens.

L’étalonnage à la rescousse

En raison de toutes ces variables, les données brutes du radiocarbone doivent être étalonnées par les scientifiques par des moyens externes—d’autres méthodes permettant d’établir les niveaux de carbone à travers l’histoire (comme la dendrochronologie). Ces données sont ensuite utilisées pour construire une courbe d’étalonnage, le modèle par lequel les radiochronologues obtiennent leurs dates. Mais même cela peut introduire ses propres biais et erreurs.

L’une des méthodes permettant de créer une courbe d’étalonnage est l’analyse au carbone d’artefacts d’âges connus. Sur la base de témoignages écrits et de chronologies, des échantillons de carbone provenant de sites d’âges connus peuvent être testés et comparés, et les résultats peuvent ensuite être calibrés et utilisés pour dater des artefacts d’âges inconnus.

Après avoir inventé cette science, Willard Libby a d’abord tenté d’utiliser cette méthode pour vérifier l’exactitude de ses données brutes de radiocarbone. Lors d’une conférence concernant son acceptation du prix Nobel en 1960, Libby souligna le problème immédiat auquel son équipe se heurta : l’ambiguïté des âges historiques. « On lit des déclarations dans des livres selon lesquelles telle société ou tel site archéologique a 20 mille ans », déclara-t-il. « Nous avons appris assez brusquement que ces chiffres, ces âges anciens, ne sont pas connus avec précision ; en fait, c’est à peu près à l’époque de la première dynastie d’Égypte [vers 3000 avant notre ère] que la première date historique vraiment certaine fut établie. » (Même pour cette période, la datation fait toujours l’objet de nombreux débats).

Les dates de certains événements historiques sont typiquement citées comme étant connues. Par exemple, en ce qui concerne l’ancien Israël, il y a l’invasion de Tiglath-Piléser en 732 av. J.-C., l’invasion de Sanchérib en 701 av. J.-C. et la destruction de Jérusalem en 586 av. J.-C. Les restes organiques de ces niveaux de destruction, souvent brûlés, sont facilement datables et peuvent être utilisés pour ajuster et calibrer la datation au radiocarbone (tout comme les restes organiques des tombes scellées, historiquement datables).

Pourtant, même ici, il existe des problèmes. Même les repères généralement acceptés font naturellement l’objet des doutes et des débats. Par exemple, sur la base du texte biblique et d’autres preuves, il y a une position importante selon laquelle l’invasion de Juda par Sanchérib eût lieu vers 710 avant J.-C. Il y a également un débat sur l’année exacte de la chute de Jérusalem. Bien que les dates ne diffèrent pas de façon spectaculaire, elles illustrent les problèmes liés aux points de repère. Donc, les archéologues considèrent les dates au carbone historiquement calibrées avec un air de suspicion.

Il existe une autre méthode, plus courante, pour calibrer les dates au radiocarbone—une méthode également utilisée pour tenter d’étendre la datation au domaine de la préhistoire. Il s’agit de la dendrochronologie, la science de la datation selon les cernes des arbres (encadré, page 10).

Jusqu’à présent, nous avons noté les complications de la méthodologie de la datation au radiocarbone. Qu’en est-il de l’échantillon qui fait l’objet des tests ?

Problèmes liés au matériel datable

Là encore, la datation au carbone ne peut être utilisée que pour dater des êtres organiques, vivants (ou ayant vécu). Un exemple typique serait la découverte d’un os dans un certain contexte. Supposons que notre méthode de datation soit parfaite. Même si la science et la méthodologie sont irréprochables, la datation de l’os avec un certain degré de certitude reste un défi majeur.

La datation au radiocarbone de l’os nous indique seulement quand la créature est morte. Elle ne révèle pas son âge au moment de sa mort, ni le moment exact quand elle fut enterrée, ou peut-être enterrée.

Il s’agit d’un problème archéologique réel. Les animaux charognards ont l’habitude de ramasser, de transporter, d’enterrer et de réenterrer les os. (Bien sûr, même les humains ont l’habitude d’exhumer et d’enterrer à nouveau). En raison de ces facteurs liés aux os, les scientifiques préfèrent, dans la mesure du possible, utiliser des graines ou d’autres petits dépôts organiques pour la datation.

Mais la datation au carbone de la substance végétale s’accompagne de ses propres maux de tête. En effet, la flore, bien qu’elle se nourrisse de dioxyde de carbone, discrimine en fait le C-14, en absorbant moins que les animaux (donnant ainsi une date plus ancienne que la date réelle). De plus, les différentes plantes absorbent sélectivement différentes quantités de C-14. Ainsi, les rapports des isotopes du carbone ne reflèteront pas nécessairement les rapports atmosphériques existants pendant que la plante était vivante. C’est ce qu’on appelle le « fractionnement isotopique ». Et ce phénomène doit être pris en compte non seulement dans les plantes terrestres, mais aussi dans les plantes marines consommables.

Qu’en est-il des restes de bois ? Le problème avec le bois est qu’il peut être utilisé et réutilisé pendant des siècles. Cela signifie que les échantillons de bois, y compris les restes de charbon de bois—autrefois considérés comme de l’or en matière de datation radiocarbone—ne sont pas nécessairement idéaux. Un autre problème avec le bois est qu’il peut être difficile de savoir de quelle partie de l’arbre provient l’échantillon. S’il provient de l’intérieur du tronc, par exemple, il est vieux. S’il provient de l’extérieur, selon le type de bois, il peut être plus jeune de plusieurs centaines d’années. Les scientifiques appellent cela « l’effet du vieux bois ».

Il y a également le problème de l’erreur humaine lors de la collecte, du stockage et de l’analyse des échantillons organiques. Il est incroyablement facile de contaminer un échantillon, que ce soit pendant l’excavation, l’emballage ou la manipulation. Le moindre contact avec du papier ou de la laine de coton, par exemple, peut contaminer un échantillon avec du carbone moderne. En fonction de l’âge de l’artefact, même un pourcentage à un chiffre de contamination peut fausser le résultat de manière mesurable, de plusieurs décennies ou siècles.

Il convient également de noter qu’il est possible de tester le même échantillon dans différents laboratoires et recevoir des résultats différents, sur la base de normes et d’étalonnages différents. C’est pourquoi il est de pratique courante d’envoyer des échantillons à plusieurs laboratoires différents pour vérifier la fiabilité des résultats.

Finalement, le parti pris humain peut également poser un problème. Il n’est pas rare que le scientifique qui effectue la datation au carbone demande à l’archéologue qui a soumis l’artefact l’âge qu’il pense avoir de l’échantillon. Si la datation au carbone est si fiable, pourquoi cela serait-il nécessaire ? Bien sûr, la datation au carbone n’est pas fiable en soi, et il est courant que les tests produisent des dates anormales. Pour éviter cela, les scientifiques préfèrent souvent effectuer leurs tests en ayant au moins une date approximative en tête.

Un autre point à noter est que, de temps en temps, des rumeurs circulent au sein de la communauté scientifique concernant des spécialistes de la datation au radiocarbone qui ajustent leurs conclusions en fonction de l’agenda ou de l’argument de l’archéologue. Les archéologues envoient souvent des échantillons similaires à différents laboratoires afin d’atténuer cette possibilité.

Où cela nous mène-t-il ?

Comme nous l’avons vu, la datation au radiocarbone est loin d’être une forme de datation claire, fixe, impartiale, indépendante et fiable. Il ne fait aucun doute qu’elle représente un développement remarquable de la science et des mathématiques modernes. Et grâce aux tentatives de calibrage modernes, les scientifiques ont pu tenter de résoudre de nombreuses difficultés dans la datation de diverses périodes de l’histoire.

L’une des questions clés mises en évidence par ces multiples problèmes, et par les « effets » qui sont toujours plus nombreux à être découverts, nécessitant un étalonnage supplémentaire, est que nous ne savons pas ce que nous ne savons pas. Dans un domaine reposant sur de multiples hypothèses, avec des données constamment modifiées et changeantes, comment savoir si tout a été pris en compte avec précision ? (Voir l’encadré pour un exemple récent de la manière dont cela se rapporte à l’archéologie de la Monarchie unifiée).

En 2001, le professeur Amihai Mazar a présenté les résultats de ce qui constituait alors l’un des plus grands lots de matériel daté au carbone 14 du Levant de l’âge du fer. Ces résultats provenaient de ses fouilles à Tel Beth Shean et Tel Rehov. Cela en valait-il la peine ? Il a présenté ses conclusions, en relation avec la question de la Monarchie unifiée et les revendications du professeur Finkelstein et de ses associés, dans Radiocarbon (vol. 43).

« Le débat chronologique concernant les 10e-9e siècles avant J.-C. en Israël porte sur un intervalle de temps compris entre 50 et 100 ans. […] Les dates calibrées de 14C [donnent] parfois un laps de temps trop large ou trop ambiguë pour que le problème puisse être résolu », a écrit le professeur Mazar, en se basant sur certaines des dates au carbone ambiguës (ou totalement erratiques) qu’il a reçues. « Les modifications apportées aux récentes versions des courbes d’étalonnage impliquent que les plages de dates étalonnées peuvent encore changer pour les échantillons qui présentent un intérêt pour les questions chronologiques impliquant un intervalle de temps de seulement 50 à 80 ans. »

« Les débats sur les dates des strates archéologiques sont inévitables », a noté Mazar. « Le débat actuel sur les 10e-9e siècles avant notre ère est un excellent cas d’étude. Pourtant, il semble que le chemin soit encore long avant que le dernier mot ne soit dit dans ce débat. » Cela fait un certain temps que Mazar a présenté son article—et pourtant, même avec les progrès réalisés dans ce domaine, ces conclusions restent valables, dans une large mesure (voir l’encadré, page 8).

Traditionnellement, au cours du siècle dernier, l’analyse comparative des poteries a été utilisée pour donner des dates aux sites archéologiques. La datation au carbone a prouvé que de nombreuses méthodes traditionnelles de datation sont, en fait, les plus précises—sans compter qu’elles présentent des avantages supplémentaires. Prenez la poterie, par exemple. La poterie est abondante dans une fouille, elle ne se décompose pas, et avec un archéologue compétent dans la lecture des poteries, elle peut être datée avec généralement le même niveau de précision que le radiocarbone. Dans certains cas, elle peut être datée avec une précision encore plus grande. De plus, cela peut être fait librement, sans attendre potentiellement des semaines pour un résultat (recevoir des dates rapidement est particulièrement important au cours d’une fouille). Les dates de radiocarbone, correctement sélectionnées et datées, peuvent certainement servir de bon contrôle, ensemble avec la datation de la poterie.

La science produira-t-elle une forme de datation plus précise ? Cela reste à voir. Aujourd’hui encore, une nouvelle méthode potentielle en est à ses premières phases de recherche : l’archéomagnétisme. Pourtant, parfois, les moyens les plus simples sont les plus efficaces.

Le professeur Gabriel Barkay a résumé la datation au radiocarbone de manière assez flamboyante : « Le carbone 14 est comme une prostituée. Compte tenu de la marge d’erreur, le radiocarbone permet à chacun de défendre la position qu’il défend déjà. » Le professeur Bruce Brew s’est exprimé ainsi : « Si une date de C-14 soutient nos théories, nous la mettons dans le texte principal. Si elle ne les contredit pas entièrement, nous la mettons dans une note de bas de page. Et si elle est complètement dépassée, nous la laissons tomber. »

Ce sont des appuis pour la méthode de datation au radiocarbone qui ne sont guère dignes de confiance.

R606 Fr