Recevez gratuitement notre bulletin électronique.

Le prophète séculier de l’île du sceptre

Trumpet/Melissa Barreiro

Le prophète séculier de l’île du sceptre

La Grande-Bretagne ferait bien de se rappeler ces avertissements négligés venant de l’un de ses poètes les plus révérés.

«Ma propre conviction, c’est qu’il n’y aura plus de guerres parmi les six grandes puissances. » C’est ce que le prééminent commentateur britannique, H.N. Brailsford, a écrit en mars 1914. Moins de six mois plus tard, les faits ont démontré qu’il avait eu terriblement et horriblement, tort.

Des multitudes de dirigeants, d’auteurs et de penseurs britanniques ont partagé la suffisance de H.N. Brailsford. Mais certains avaient prévu la catastrophe à venir. Le plus célèbre de ces prophètes séculiers a été Sir Winston Churchill qui a préparé la Marine britannique à la première Grande Guerre, et, plus tard, a battu le rappel pour la nation, avant la seconde.

Mais la Grande-Bretagne avait un autre prophète : Rudyard Kipling.

Aujourd’hui, on se souvient de R. Kipling pour deux accomplissements. Les enfants se souviennent de ses histoires, particulièrement Le livre de la jungle, ou une version mise en dessin animé par Disney. Les adultes se souviennent que son poème « If », un vibrant appel à la vertu mâle, a été élu poème préféré de la Grande-Bretagne, en 1995.

Mais l’œuvre de R. Kipling va bien au-delà de ces deux ouvrages. Cet homme a averti la Grande-Bretagne de la catastrophe à venir. Dans ses poèmes, il a annoncé avec exactitude la Ière Guerre mondiale, a prédit la chute de l’Empire britannique et a exposé les racines de désastres dont la Grande-Bretagne souffre encore, aujourd’hui.

Les avertissements de R. Kipling étaient si exacts qu’en 1919, après la guerre, le magazine Atlantic a publié un article intitulé « Le remarquable bon sens de Rudyard Kipling » : « Bon sens parce que le temps l’a soutenu contre les moqueurs ; remarquable, parce que personne, à l’origine, n’attendait de lui ce genre particulier de bon sens », comme son auteur, Katharine Fullerton Gerould, l’a souligné.

Les poèmes d’avertissement de Kipling étaient les moins populaires de ses ouvrages, et étaient souvent rejetés, raillés et ridiculisés. C’était avant que les fusils d’août ne se fassent entendre, à travers l’Europe. Même après cela, peu de gens y ont prêté attention. Mais particulièrement à la lumière des problèmes actuels, ces avertissements révèlent une extraordinaire perspicacité. Les Britanniques—et nous tous—ferions bien de nous souvenir d’eux.

R. Kipling a publié un nombre énorme de poèmes. Les résumer tous serait impossible. Mais peut-être que la faible approximation d’un résumé peut être approchée en groupant ses avertissements sous trois thèmes principaux. Le premier est celui où il avait le plus manifestement raison : la suffisance militaire.

Le premier avertissement

Tout au long de sa carrière, R. Kipling a parlé en faveur du soldat britannique. L’histoire de la mort et de la gloire de Alfred Lord Tennyson dans « The Charge of the Light Brigade » [La charge de la brigade légère] est peut-être le poème le plus célèbre de l’ère victorienne. Mais R. Kipling en a écrit encore un autre 40 ans plus tard appelé « The Last of the Light Brigade » [La dernière brigade légère], qui dit, essentiellement : Vous avez immortalisé ces hommes en vers, mais maintenant ils meurent de faim dans les rues ! Voudriez-vous bien leur donner quelque chose à manger ?

Après le tournant du siècle, ces réprimandes sont devenues plus urgentes. Bien avant 1902, R. Kipling a vu qu’une guerre totale avec l’Allemagne était en route. Construire une grande armée de soldats bien formés n’était plus une affaire de bien-être des soldats—il s’agissait de la survie nationale.

Au cœur de cet avertissement, il y avait une anthologie de poèmes, publiée en 1903, intitulée The Five Nations [Les cinq nations]. Sa dédicace avertit des tempêtes à venir :

Avant que les rivières ne se liguent contre la terre

En une inondation pirate,

Vous savez ce que les eaux dérobent et offrent

Là où rarement l’eau a fait une offrande.

Cependant, qui notera que,

Jusqu’à des champs à flot,

Et le cadavre lavé par les eaux et celui qui retourne bien portant

Crient ce que ces pauvres hérauts s’efforcent de dire ?

Cette anthologie contient beaucoup de poèmes de différents styles, pourtant elle revient à plusieurs reprises à ce thème de suffisance face à la tragédie à venir. « Les digues »—un poème à propos des ouvrages de terre ou levées qui empêchent la mer de déborder sur des zones basses—est consacré entièrement à cet avertissement :

Maintes et maintes fois avons-nous été avertis au sujet des digues, maintes et maintes fois nous sommes-nous attardés :

Maintenant, cela peut tomber, nous avons tué nos fils, comme nos pères que nous avons trahis.

Au centre de The Five Nations se trouve peut-être le poème le plus prophétique de R. Kipling, « Les Insulaires ». Il commence :

Protégés par vos pères prudents, entourés par vos mers de plomb,

Cela fait longtemps que vous vous réveillez tranquilles, et longtemps que vous êtes allongés à l’aise ;

Jusqu’à ce que vous ayez dit du conflit : « Qu’est-ce que c’est ? », et de l’Épée, « C’est loin de notre entendement » :

Jusqu’à ce que vous ayez fait un divertissement de vos armées rétrécies

et un jouet de vos hommes armés.

Vous avez fermé vos oreilles à l’avertissement—

vous ne vouliez ni regarder ni entendre—

Vous mettiez vos loisirs avant leur labeur et vos désirs par-dessus leur besoin.

Un avertissement si direct n’est pas d’une lecture facile. « Combien de milliers de gens ont senti que, en écrivant “The Islander”ˮ, Kipling avait détruit sa propre réputation ! » a déploré l’Atlantic, en 1919. Mais, à ce moment-là, l’avertissement de Kipling s’est révélé bien trop vrai : « Attendez-vous les éclats de shrapnel avant que vous n’appreniez comment un fusil est posé ? L’éblouissement profond et rouge vers le sud, quand les villes de la côte bombardée brûlent ? » R. Kipling réprimande les insulaires pour le temps et l’argent qu’ils gaspillent à leurs sports et à leurs distractions, et pour le peu qu’ils consacrent aux militaires qui leur garantissent un sommeil sûr la nuit.

« Enclins à une forte illusion, croyant entièrement au mensonge », a-t-il écrit, « vous avez vu que le pays est laissé sans défense, et vous laissez les mois passer. »

Cela concorde avec le deuxième avertissement de R. Kipling—une réprimande contre la vision étroite de la Grande-Bretagne.

Le deuxième avertissement

R. Kipling était un homme d’empire. Il est né en Inde, a vécu pendant quelque temps en Amérique, et a voyagé autour du monde. Il avait une grande vision de ce que l’Empire britannique pourrait faire pour le monde. Pourtant, maintes et maintes fois, il a été affronté par des gens, en Angleterre, qui ne pensaient qu’à une vie confortable chez eux. C’est R. Kipling qui a inventé l’expression : « Que devraient-ils savoir de l’Angleterre, que seule l’Angleterre connaît ? »

Dans « Pharaoh and the Sergeant » [Le pharaon et le sergent]—également tiré de l’anthologie The Five Nations—R. Kipling déplore que l’Angleterre « croi[e] que son Empire est toujours le Strand et Holborn Hill », deux endroits à Londres.

Pour R. Kipling, l’empire avait une puissance immense en tant que force pour le bien. Certains dans les colonies ont travaillé vigoureusement à cette fin, en étant complètement ignorés par Londres. Trop de gens, au pays, n’avaient aucun désir de faire du bien dans des coins éloignés du globe, et consacraient plutôt leurs passions pour la tranquillité et le sport.

George Orwell, comme R. Kipling, a grandi en Inde, a été instruit en Angleterre et est retourné ensuite aux colonies. Il a grandi en en voulant à l’empire, ayant été témoin de maints de ses abus dans ses années de formation. Pour lui, l’empire signifiait l’exploitation. Il a même reconnu une vision séparée dans les écrits de R. Kipling. « La masse des gens, dans [les années 1890] comme maintenant, était antimilitariste, lassée par l’empire, et seulement inconsciemment patriote », a-t-il écrit dans un célèbre essai à propos de R. Kipling, en 1942. R. Kipling a essayé de rallumer une plus grande vision de l’empire dans cette masse de gens—et a échoué. Pour G. Orwell, l’empire se consacrait à faire de l’argent, mais il a clairement vu que pour R. Kipling, il représentait quelque chose de
beaucoup plus grand.

Le troisième avertissement de R. Kipling est plus profond et plus fondamental.

L’avertissement final

Le soixantième anniversaire de la reine Victoria, en 1897, était un moment de grande célébration partout dans l’empire. Cependant, R. Kipling a choisi ce moment pour lancer un de ses premiers et plus sombres avertissements. Le poème, intitulé « Recessional » [Final] et réimprimé dans l’anthologie Les Cinq Nations, commence :

Dieu de nos pères, connus des anciens,

Seigneur de notre ligne de bataille lointaine,

Sous la terrible Main duquel nous exerçons

Une domination sur le palmier et le pin

Seigneur des armées, sois encore avec nous

De peur que nous n’oubliions—de peur que nous n’oubliions !

Le poème semble fortement calqué sur Psaumes 127, qui commence, comme suit : « Si l’Éternel ne bâtit la maison, ceux qui la bâtissent travaillent en vain : Si l’Éternel ne garde la ville, celui qui la garde veille en vain ». Il avertit qu’en dépit de toutes les gloires de l’empire, sans Dieu il pourrait se désagréger du jour au lendemain :

Appelés au loin, nos marines disparaissent ;

Sur la dune et le cap coule le feu :

Voyez, toute notre splendeur d’hier

Est une avec Ninive et Tyr !

Juge des nations, épargne-nous encore,

De peur que nous n’oubliions—de peur que nous n’oubliions !

En dépit de tous les appels de R. Kipling pour la préparation militaire et des attaques de dissuasion, il a clairement vu que le réel espoir de la Grande-Bretagne ne repose pas sur les armes, mais sur Dieu. Il conclut :

Pour le cœur du païen qui met sa confiance

Dans le tube fumant et le tesson en fer,

Toute poussière vaillante qui bâtit sur la poussière,

Et se protège, ne T’appelle pas pour la protéger,

Pour la folle vantardise et la parole stupide

Ta miséricorde sur ton peuple, Seigneur !

Amen.

Il donne ce même avertissement dans « The Islanders ». Empruntant, de nouveau, à la Bible, il demande sarcastiquement :

Sans aucun doute, vous êtes le peuple ; qui vous fera peur ?

Aussi vos dieux sont nombreux ; sans aucun doute, vos dieux aideront.

Les idoles des autels gras construites pour le bien-être du corps ;

Fiers petits baals en laiton et fétiches parlants ;

Téraphims de septembre et fêtes et sages dieux de pavement de bois—

Ceux-ci descendront-ils pour la bataille et vous arracheront-ils de dessous les verges ?

Vers la fin de sa vie, alors que le Parti nazi montait au pouvoir en Allemagne, R. Kipling a exprimé sa haine pour ce que cela représentait, et s’est opposé à la réaffirmation de la puissance de l’Allemagne. Il a été accusé d’être germanophobe. Il est mort en 1936. Trois ans plus tard, il s’est avéré qu’il avait terriblement raison, de nouveau, par le déclenchement de la IIème Guerre mondiale.

Aujourd’hui, il s’avère qu’il avait encore plus raison. L’Empire britannique est effectivement « un avec Ninive et Tyr ». La puissance navale de la Grande-Bretagne a disparu. Et l’Allemagne est, de nouveau, la puissance prééminente en Europe. Peu de gens voulaient leur prêter attention, mais les avertissements de R. Kipling résonnent puissamment.

Qui entendra l’avertissement ?

La Trompette donne un avertissement basé sur la prophétie biblique. Mais à travers l’histoire, la Grande-Bretagne et l’Amérique ont eu leurs « prophètes séculiers ». Dans un sens, la connaissance de l’histoire et de la nature humaine peut indiquer ce qui arrive même sans l’aide de la Bible.

R. Kipling n’était pas un prophète de Dieu, et ce n’était pas un homme parfait. Dans l’ère du politiquement correct d’aujourd’hui, les critiques se concentrent plus souvent sur ses défauts que sur le fait qu’il avait « extraordinairement raison ». Cependant, ce ne sont que les trois avertissements les plus prééminents, parmi beaucoup, auxquels nous ferions bien de prêter attention.

Sans aucun doute, mais vous êtes le peuple—votre trône est au-dessus de celui du roi.

Celui qui parle en votre présence doit dire les choses acceptables :

Incliner la tête en vénération, plier le genou dans la crainte—

Apporter une parole bien agréable—tel qu’un roi devrait entendre.

C’est la préface pour « The Islanders », et elle est valable pour aujourd’hui. La Grande-Bretagne s’est délectée des choses les plus agréables de R. Kipling, mais la nation a rejeté ses avertissements. Aujourd’hui, cependant—plus que jamais—la Grande-Bretagne doit entendre ces « choses inacceptables ». Encore une fois, rien de moins qu’une guerre mondiale est à l’horizon.